Jeudi 8 avril dernier, nous avons organisé notre première matinée de débats autour du sujet de la résilience alimentaire. Nous tenions tout d’abord à remercier les intervenants pour la qualité de leurs contributions, les animateurs pour la fluidité des échanges et les participants pour la pertinence des questions posées.
Cette matinée fut l’occasion de vous présenter notre baromètre de la résilience alimentaire que nous avons construit de manière à ce qu’il soit un catalyseur de prise de conscience et qu’il permette, à tous, d’avoir une vue d’ensemble sur l’état de l’autonomie alimentaire de nos territoires. Mais surtout, cette matinée nous a permis de constater qu’en dépit de l’envergure du challenge à mener pour atteindre la résilience de nos territoires, nombreux sont les projets et initiatives déjà en marche et surtout que ces derniers fonctionnent ! A nous maintenant de les multiplier.
Cette crise a révélé la force de toute notre chaîne alimentaire : sa capacité d’adaptation et de résilience qui la caractérise (…) pas une seconde nous avons manqué de quoi que ce soit ”
Julien DENORMANDIE, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation
C’est donc galvanisé par une bonne dose d’optimisme et de perspective que nous avons conclu cette matinée autour d’une idée commune : maintenant que nous avons une vision concrète de l’enjeu, construisons ensemble l’écosystème permettant le passage à l’échelle de tous les projets existants et à venir. Ces derniers nous mèneront, in fine, à une alimentation plus résiliente, plus adaptée aux territoires et accessible à tous, même en temps de crise.
UN CONSTAT LARGEMENT PARTAGE : LA TRANSITION EST PAYANTE.
Tout au long des interventions, un fil conducteur commun s’est dessiné : nombreux sont les fantasmes et les freins autour de la résilience alimentaire des territoires qui tomberont dès lors que le passage à l’action sera lancé.
En effet, pendant les années 50, des efforts ont été concentrés pour augmenter notre capacité de production. Si cela répondait aux enjeux du moment, on connaît aujourd’hui l’impact et les dérives que cela a entraîné : augmentation de l’obésité, coûts sociaux et environnementaux, instabilité des cultures, dépendance aux ressources extérieures, aux marchés financiers, etc..
Au delà du fait que le dérèglement climatique nous pousse fortement à nous orienter vers d’autres manière de produire, les acteurs déjà en transition prouvent par l’exemple que ce changement de paradigme crée des externalités positives supplémentaires : stabilisation des productions, diminution des dépendances aux ressources extérieures, relance des circuits courts, accompagnement à la transition des modes de consommation, etc..
On est à un changement d’époque : ce qui sera, ne sera plus que la continuité de ce qui a été. Il faut donc être créatif, voire disruptif car la résilience va s’adapter à ce contexte incarné par l’évolution de la société.
Serge PAPIN, Médiateur pour l’agriculture
Toutes ces conséquences permettent, in fine, de recentrer l’agriculture autour de sa fonction première, c’est-à-dire nourricière. Elle accompagnera la revalorisation du métier, lui donnera un nouveau souffle et permettra la prise de relais par la nouvelle génération qui aujourd’hui, n’est pas rassurée par l’avenir et donc peine à reprendre les exploitations.
LA RÉSILIENCE ALIMENTAIRE EST PRAGMATIQUE SI ELLE EST ACCOMPAGNÉE DE PERSPECTIVES ECLAIRÉES.
Afin de rendre cette transition et passation viable, il a été évoqué le besoin de rassurer les acteurs d’aujourd’hui et ceux de demain.
L’un des premiers éléments identifiés fait référence à la place de l’Etat dans la sécurisation du secteur. Historiquement, les consuls -les ancêtres des maires- avaient sous leur responsabilité, entre autres, la sécurité alimentaire de leur territoire. Si dans le temps ce mandat s’est délocalisé, depuis quelques années, de nombreuses initiatives publiques refont surface visant l’accompagnement à cette transition comme le P.A.T (Projet Alimentaire Territorial) ainsi que la reprise en main partielle de ces sujets par le corps étatique. Cependant, il a été soulevé que si de nombreux projets étaient en cours de lancement, il serait important qu’un ajustement législatif soit envisagé afin que le dispositif en vigueur, que ce soit la PAC (Politique Agricole Commune), le GAT ou etc.. soient revus à la lumière des enjeux actuels. Ces mesures qu’elles soient en cours, à venir ou encore à construire, permettront d’apporter de la perspective aux acteurs d’aujourd’hui et rassurer ceux de demain.
Le deuxième élément est celui de définir des indicateurs clairs, notamment pour préciser la demande des consommateurs. Tout au long de cette matinée de débats, nous avons évoqué le fait que les demandes des consommateurs étaient croissantes: plus de transparence dans leurs produits, plus de local, de traçabilité, de qualité, prendre en compte la biodiversité des exploitations, la protection des ressources, etc… Cependant, sur le terrain force est de constater qu’il peut s’avérer compliqué pour le producteur de comprendre cette demande et surtout de montrer leur réponse apportée sur leurs produits (bio, agriculture raisonnée, sans pesticide, etc..).
Ainsi, il pourrait être opportun de créer des indicateurs communs et officiels permettant non seulement d’apporter une grille de lecture au consommateur lors de ses achats mais surtout pour permettre au producteur de lier la valeur ajoutée de son produit (notion de circuits courts, listing des services rendus par les prestations de l’agriculture, la biodiversité, etc..) avec le prix final proposé.
Cette transparence dans le produit final apportera de la clarté tant pour le consommateur qui saura ce qu’il y a dans son assiette mais surtout au producteur qui retrouvera de la stabilité dans l’exercice de sa mission et incitera corrélativement les futurs acteurs à s’engager sur des futures exploitations.
Si on veut retrouver de la relocalisation de production, il faut non seulement pouvoir le produire mais aussi le payer au prix rémunérateur pour le producteur. La question du prix payé par le producteur et la rentabilité est également au cœur {de ses débats sur la résilience alimentaire}.
Christiane LAMBERT, Présidente de la FNSEA
UNE RÉSILIENCE ALIMENTAIRE SERA VIABLE CAR ELLE SERA MESURÉE ET MESURABLE
S’il a été montré que de nombreux outils existent, il a été aussi mis en lumière le besoin de clarifier la demande globale et ce notamment au travers d’un bien commun au service des territoires et des parties prenantes à la résilience alimentaire.
Dans le vivant, tout est lié et tout est sujet d’équilibre. Et c’est pour cela qu’il faut basculer des modèles traditionnels basés sur des obligations de moyens à des modèles basés sur la mesure des résultats des pratiques agricoles
Anne TROMBINI, Directrice de l’association Pour une Agriculture Du Vivant
Cependant, force est de constater que la recherche de ces données peut s’avérer complexe créant de fait une difficulté dans la définition des objectifs. Ces difficultés émanent principalement du manque de mise à jour régulière des données, par la spécificité de certains outils, par des périmètres d’analyse trop restreints ou trop concentrés sur les attentes des consommateurs et non sur ceux des agriculteurs. C’est donc un appel à la collaboration qu’ont envoyé les intervenants non seulement dans la production mais aussi dans la libération des données afin de construire ensemble l’outil de la résilience.
C’est principalement dans cette dynamique que le CNRA a souhaité construire le baromètre afin qu’il puisse être un catalyseur de toutes ces données et galvaniser les acteurs autour d’indices clairs, mesurables dans une approche systémique permettant le passage à l’action. Cependant, sans la collaboration et le lien entre tous les acteurs de la chaîne, cette émulsion ne pourra être aussi fructueuse qu’espérée.
LE LIEN : LA CLÉ DE VOUTE POUR LE PASSAGE À L’ÉCHELLE DE LA RÉSILIENCE ALIMENTAIRE.
Le lien entre les acteurs s’avère donc être la base du passage à l’échelle de ces projets mesurables et éclairés visant le même but : la résilience de nos territoires. Il a été important pour tous les intervenants de préciser que ce lien doit se faire entre toutes les parties prenantes : de l’amont à l’aval et ce, autour de valeurs communes.
La résilience alimentaire c’est retisser des liens, des relations autour de l’alimentation, transformer les dépendances en dialogue, en coopération au sein des territoires et entre territoires.
Yuna CHIFFOLEAU, Chercheuse à l’ INRAE
Créer du lien entre tous ces acteurs a pour principale valeur ajoutée le partage. Le partage des connaissances, le partage d’expériences ou encore le partage des données. En effet, les initiatives locales souffrent d’une problématique inhérente à leur essence : elles sont locales, dans leurs coins et donc peu visibles par ceux qui ne sont pas à proximité. Mais les différents confinements et cette matinée de débat ont mis en lumière un axe commun : les solutions sont là, elles existent, il ne tient qu’à nous de les regrouper, de les mettre ne lumière, de les accompagner pour permettre à d’autres de s’en inspirer, de les améliorer et surtout de les faire monter en puissance. Par ailleurs, ce lien dépasse même les interactions entre les acteurs, il renvoie à une notion de solidarité collective face à l’alimentation. Plusieurs intervenants ont évoqué la notion de “sécurité sociale alimentaire” faisant référence au fait que la résilience alimentaire n’a de sens que si c’est accessible à tous, en tout temps.
CONCLUSION
Pour que la résilience alimentaire puisse répondre aux enjeux actuels et ceux de demain, elle doit s’anticiper. Elle doit s’organiser, se regrouper autour des acteurs, des territoires, des projets mais aussi autour d’indicateurs clairs.
L’optimisme de cette matinée reflète la créativité des projets existants avec une vision partagée. C’est donc conscient de l’effet catalyseur de ce genre d’événement, que le CNRA souhaite les décliner au sein des territoires, afin de renforcer l’audit réalisé par le baromètre mais surtout faire émerger localement des synergies nous menant, in fine, vers notre objectif commun : une alimentation plus résiliente, plus adaptée aux territoires et accessible à tous, même en temps de crise.